Il fut un temps, j'ai développé un projet qui m'était cher. Faire poser des gens, n'importe qui, hommes, femmes, jeunes et vieux, gros et maigres, grands et petits, européens et d'ailleurs et les faire écrire sur leur rapport au corps, à la nudité, au sexe auquel la nudité est souvent associée.
Les modèles choisissent librement la pose. Ils écrivent ensuite leur texte à la main et je l'intègre par collage sur le tableau que je tire de la pose. J'ai fait 10 tableaux de cette série qui m'a permis de rencontrer des personnes variées et qui souvent ont véhiculé une souffrance. J'ai eu beaucoup plus de volontaire femmes qu'hommes. Et sovent les hommes s'expriment moins que les femmes. Mais certaines ont eut aussi beaucoup de mal à sortit un texte. Y compris des femmes de lettre !
La série s'intitule Le corps nu ne dévoile rien.
Tiré de cette série, voici aujourd'hui Misungui.
Misungui est une lettrée, militante féministe.
J'ai apprécié ce profil singulier en me disant que si elle acceptait de participer, j'aurai un texte riche, des poins de vue originaux propres à faire évoluer les mentalités ou du moins à même de présenter clairement des points de vue alternatifs propres à favoriser la réflexion sur les sujets plus haut évoqués.
Je lui ai présenté mon projet. Elle a accepté de poser. Nous nous sommes rencontrés ensuite pour la séance sur une plage naturiste de Marseille. Un matin, il y avait peu de monde et de grosses vagues nous interdisant la baignade. La pose a duré environ 20 mn, 1/2 heure maxi. Je me souviens avoir du retoucher le dessin car j'avais fait les jambes trop courtes !
Voici donc mon dessin de Misungui et son texte.
Misungui. Performeuse et militante
77 X 57 cm.
Technique mixte sur papier.
2016.
Le texte composé et écrit par Misungui évoque ses combats féministes et la découverte de ses limites charnelles et sexuelles. "Frappe-moi fort, je ne sens rien, Arrache-moi mes limites, fais moi crier qui je suis".
Le voici in extenso :
Enveloppe
Vaisseau
Frontière
Ego
Matière
Chair
Berceau
Battleground
Soldat
C’est la guerre ?
Oui.
Pourquoi ?
Comme toujours, on discute les limites.
Qui on ?
Tous les habitants, les frontaliers en premier, ce sont les premières lignes, ils s’en prennent plein la gueule. Mais ceux du milieu, ceux du tréfonds, ceux-là aussi sont en guerre.
Ah ?
Oui.
Mais qui les attaque ?
Tous ceux qui ne sont pas eux. Les autres. L’extérieur.
Ils sont assiégés ?
Non. Parce qu’eux aussi ils attaquent. On ne sait plus très bien qui a commencé.
Ah. Et quand cela va-t-il s’arrêter ?
Quand on aura trouvé les limites. Les bonnes limites. Les limites justes. Les limites confortables.
Pour l’intérieur ou pour l’extérieur ?
…
Tranche moi le doigt, je suis mon corps, tu me tranches l’esprit. Ampute-moi l’ego, je perds un œil, je marche sur la tête.
Frappe-moi plus fort, je ne sens rien. Arrache-moi mes limites, fais-moi crier qui je suis.
T’as peur ? Je te fais peur ? Ça te fait peur ?
Peut-être qu’au fond de ma chair, dans ce berceau, tu trouveras une photo de toi, coller au milieu d’un miroir et toutes les cellules de mon vaisseau hilare pour mettre la scène en musique.
Au garde à vous soldat ! La guerre n’est pas finie. Il y a encore des murs dans lesquels s’enfoncer et des couvertures dans lesquelles s’envelopper.
Je…
Tu ?
Je voulais savoir depuis quel endroit on pouvait voir l’infini.
Tu voulais savoir si tu étais déjà fini.
Je voulais savoir si je pouvais me dissoudre.
Tu voulais savoir s’il fallait absolument des limites.
Je voulais être toi.
Tu voulais disparaître.
Je voulais être ça.
Tu voulais apparaître.
Je ne voulais pas être seule.
Menteur ! Tu ne supportes pas les autres !
Menteuse ! Je les absorbe volontiers !
Demain, quand la peau aura dégouliné sur mes genoux, tu crois que j’aurai appris à me liquéfier ?
Je serai là pour t’éponger.